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Le Bataclan 250x250 cm

On a tous été marqués par le Bataclan. On a tous dans l’hexagone un cousin un voisin un péquin moyen qui y était. Mais celui qui y était ne le dit pas. Il est entré dans l’indicible. On dit « Mon cousin mon voisin était au Bataclan ». «Il », celui qui y était, ne dit pas « J’étais au Bataclan ». Soit parce qu’il est mort dedans, soit parce que la mort est encore dedans.
C’est quoi le Bataclan ?
« Avant », c’était un nom propre. Celui d’une salle de spectacle parisienne. Et oui, on aimait dire fièrement « J’étais au Bataclan » pour le concert de Lui, pour le concert de Elle, pour le concert de Eux.
« Maintenant », c’est un nom sale, plein de sang.
« Après », ce sera un nom commun. On ne dira plus « C’était l’enfer », on dira « C’était le Bataclan ».
Tout a changé le soir où le spectacle du métal mortel des hommes a remplacé celui des aigles du métal mortel.
On a tous été marqué par le Bataclan. Ceux qui y étaient ne sont pas restés anonymes, leurs photos les unes après les autres ont marqué les réseaux sociaux. Il, Elle, Eux…
Mais «On », nous qui n’y étions pas, « On » reste anonymes. « On » n’y était pas, mais à notre façon, chacun, chacune, « On » a vécu « ça ». Et « On » a été renversés, choqués, secoués. Mais au nom de quoi « On » aurait le droit, la légitimité d’en parler, puisqu’ « On » n’y était pas ? « On » n’a pas vécu « ça »…
« ça »… A quoi « ça » ressemble ? Ce bouleversement d’un truc qu’on a vécu sans vraiment le vivre ? Ce basculement intérieur provoqué par un événement extérieur, qui nous fait toucher du doigt que quelque chose oui quelque chose relie les êtres, même ceux qui sont sans liens ?
L’art… une fois encore, c’est l’art qui peut exprimer l’indicible.
Quand certains croient étouffer la douleur sous trente tonnes de fleurs, Nadine Vergues l’exprime dans ces corps blessés qui tentent de s’extirper de la fatalité, qui luttent pour ne pas ajouter leur photo à la guirlande macabre des portraits de ceux qui n’ont pas survécu, ceux que l’ange aux ailes dérisoires a réussi à extirper vivants de l’écrasement métallique des aigles musiciens.
Le Bataclan ne sera jamais simplement une date, un événement, jamais il n’appartiendra au passé. Si selon Rothko « Il y a de la lumière au bout de la nuit, et l’art peut en rendre compte », il y a aussi de la nuit dans la lumière, et l’art nous enjoint de ne pas l’oublier…
Laetitia CRAHAY